2005, 193 pages, ISBN: 9961-813-19-7

présentation

Cet ouvrage est le produit d’une équipe qui a travaillé sur la montagne et a élaboré pour cela un PNR autour du thème «espace montagnard : mutations et permanences». Pour appréhender un territoire assez vaste qui longe la côte algérienne étalée sur 1200 km, ses membres ont retenu quatre aires culturelles qui peuvent être représentatives de la montagne algérienne, significatives de son présent et de son avenir : les Aurès, le Tell oriental et les kabylies du Djurdjura et des Ath Waghlis (Soummam). Quatre aires géographiques que tout semble différencier -un espace relativement aride (Aurès), un versant peu habité (Tell oriental) et une zone fortement peuplée (Kabylie)-, mais toutes relèvent de la basse et moyenne montagne. Leurs occupations spatiales respectives sont frappantes par les différences dégagées au premier regard, mais toutes ont su combiner les potentialités locales aux nombreuses contraintes du milieu physique, que l’homme a diversement exploitées pour en faire un cadre de vie. Les quatre aires sont prises dans le tourbillon de l’émigration avec tout de même une tendance à la baisse des départs, largement observée cette dernière décennie en Kabylie. L’espace montagnard semble dégager des niveaux de difficulté que l’habitant a su différemment traiter pour sa survie ; il est aujourd’hui encore un cadre de vie pour 20% de la population nationale (Khelil, 2000). Ainsi des difficultés similaires ont produit des mécanismes de production et d’appropriation de l’espace différenciés. En cela, réside le premier intérêt de ce travail.

Le deuxième porte sur la nécessité de produire des connaissances et des savoirs sur l’espace montagnard, parent pauvre de la recherche universitaire, plus versée dans la problématique urbaine. Beaucoup plus préoccupant, la montagne fait l’objet d’un oubli qui n’est ni un phénomène propre à l’Algérie, ni un fait contemporain, dans l’histoire de l’humanité. En effet, les chercheurs ne s’en sont préoccupés que tardivement. En tant que champ d’exploration scientifique, la montagne a été investie à l’époque de la renaissance. En effet, longtemps assimilé à un vide culturel, à un espace de pauvreté, à une zone fermée sur l’extérieur fonctionnant en véritable autarcie, l’espace montagnard couve un certain nombre de stéréotypes qui le tiennent à l’écart de grands courants de civilisation. Cette « primitivisation » de la montagne (Albera-Corti, 2000) puise ses arguments dans le déploiement de l’optimum du peuplement à l’extérieur. Ce qui serait une réponse à l’inadéquation du rapport population/ ressources locales. Les mouvements migratoires qui caractérisent l’ensemble de l’espace montagnard méditerranéen sont aussi annoncés comme des preuves objectives de la misère de la montagne. Des constructions théoriques sont élaborées sur la pauvreté de ce milieu qui propulse ses forces vives sur les plaines et les villes du pays, où elles contribuent à impulser de nouvelles dynamiques. La montagne est assimilée à « une fabrique d’hommes pour autrui» selon l’expression consacrée de Braudel (1994).

Et pourtant, les faits sont têtus. La montagne méditerranéenne connaît une certaine prospérité du fait de la variété de ses ressources : arboriculture, céréaliculture, élevage, agriculture de subsistance, activités d’artisanat, une relative concentration des lieux de dispense du savoir. (Jbala, Kabylie, Alpes, Pyrénées). Au XVII, les ulémas de la ville se rendaient en Kabylie pour parfaire leur savoir (Addi, 1994). Aujourd’hui encore, malgré la réelle saignée de ses forces vives, la montagne continue à être un cadre de vie. Elle abrite même des môles de peuplement avec de densités d’occupation qui rivalisent quelquefois avec la ville. En Kabylie des Ath Waghlis, la densité moyenne est de plus de 800hab/km2 (Messaci, 2003). Dans le Tell oriental, elle est supérieure à celle de la plaine d’Annaba (Boukerzaza, Boughaba, 2001).

La mobilité des populations montagnardes est, au regard des récents travaux (Albéra-Corti, 2000), annonciatrice de la « capacité de pénétration des segments de l’emploi aussi bien national qu’international » La gamme des activités exercées par ces migrants présente une palette assez large pour infirmer l’hypothèse longtemps accréditée de la mise sur le marché du travail d’une masse de travailleurs sans qualification aucune. Les montagnards occupent des emplois aussi variés qu’inconnus de leurs espaces communautaires (Pyrénées, Kabylie, Aurès). Dans le milieu d’accueil, ils sont aussi bien commerçants, fonctionnaires, gérants de hammam qu’enseignants (Adel, Messaci, 2002).Cette diversification dans les secteurs d’emplois occupés conforte l’expression d’Albera-Corti qui la qualifie d’« exportation de compétences » (p364) ; laquelle compétence est sans doute induite par une présence relativement étoffée des structures d’enseignement. Chez les Ath Waghlis l’importance du maillage scolaire précolonial renforcé par la colonisation française a largement contribué à créer cette compétence destinée à l’exportation.

La montagne peut s’avérer donc un espace cognitif et ce n’est pas sans raison que la colonisation française a déployé une politique de scolarisation particulièrement dirigée vers la Kabylie. Le choix d’implantation des écoles républicaines, sur le même site que les écoles coraniques, participe aussi de la stratégie de l’étouffement de l’enseignement précolonial. L’injection d’éléments exogènes dans des espaces considérés comme étanches, vivant en autarcie, interpelle toute curiosité scientifique et annonce un phénomène d’osmose qu’il s’agit d’étudier.

La montagne est également confinée dans le stéréotype d’espace générateur de colportage. Si le colportage demeure une activité largement présente dans la montagne (Alpes, Pyrénées, Kabylie), il démontre la capacité de pénétration et d’expansion commerciale, que les nouvelles techniques de communication et les perspectives qu’elles offrent aux XVIIIè et XXè siècle rendent transnationales. Les travaux de L. Fontaine (1993) mettent l’accent sur le caractère essentiel du métier de colporteur longtemps assimilé à une activité marginale, qui se positionne comme une activité indispensable aux sociétés anciennes soucieuses d’ouverture et, en même temps, de sauvegarde de leurs structures sociales. Le colportage qui s’avère être une forme adaptée aux impératifs des migrations marchandes, est tout aussi significatif du caractère et de la capacité de mobilité du milieu montagnard. Il remet en cause les stéréotypes d’immobilisme, corollaire du système autarcique. Car la culture de la mobilité n’annonce pas forcément une régression de cet espace, bien au contraire, elle s’inscrit dans une démarche d’adaptation à un milieu toujours difficile. Le travail sur les colporteurs montagnards constitue certainement un projet porteur en terme de connaissance sur les rapports qu’entretient la montagne avec la vallée et la ville, et la place qui lui est faite dans l’économie tant nationale que locale ; il fera l’objet d’une publication ultérieure

Cette perception négative de l’espace montagnard ne serait-elle pas à l’origine de sa marginalisation dans les politiques de l’aménagement du territoire? Corollaires des politiques de développement plus axées sur l’industrie et l’agriculture, les premiers textes de l’aménagement du territoire annoncent une politique monolithique. Il faut attendre la loi du 27/01/1987, puis celle du 12/12/2001 pour que la référence à des spécificités physiques et régionales soit formulée. Et c’est ainsi que, pour la première fois, la montagne trouve une place dans une politique globale. Seulement, en l’absence d’outils appropriés, celle-ci montre très vite ses limites. A l’espace montagnard sont appliqués des instruments élaborés pour le milieu urbain qui s’avèrent de ce fait caduques. D’où la nécessité d’élaborer des outils spécifiques.

L’exemple du TOL (taux d’occupation par logement), instrument privilégié dans des études de PDAU, est révélateur de l’inefficacité des ces outils. Il pose problème car il ne renvoie pas à la réalité dans le cas d’axxam (maison kabyle). En effet, axxam étant un espace polyfonctionnel, comment est calculé le TOL ; dans quelle mesure les lectures qu’on en fait sont objectives et reprennent à leur compte la réalité sociale de l’appropriation de la maison kabyle?

La technique du zonage, largement utilisée dans les différents instruments d’urbanisme et d’aménagement (PDAU, POS) est aussi inopérante dans l’espace montagnard, la communauté montagnarde ayant un rapport identitaire à l’espace habité. La représentation mentale de l’appropriation spatiale passe d’abord par une occupation réalisée dans une hiérarchie dans laquelle le village, le groupe agnatique sont les premiers repères à sauvegarder. Aussi, la localisation d’une zone d’habitat regroupant des familles appartenant à des villages distincts, est à l’antithèse du rapport qu’entretient l’individu avec son espace habité.

Les habitants disposent également d’un argument de taille qui complique l’application des propositions d’aménagement réfléchies en dehors des réalités locales : le statut melk du patrimoine foncier constitue un réel écueil avec lequel les aménageurs doivent composer malgré l’existence d’un arsenal juridique autorisant l’expropriation pour utilité publique.

La montagne est, certes un « conservatoire » (Brunet, 1993) mais elle est avant tout un espace en perpétuel mouvement qui insuffle aux anciennes valeurs de nouvelles conditions à leur pérennisation.

 

L’étude des permanences et des changements dans la montagne est une voie scientifique qui a permis la production d’une connaissance plus actuelle sur cet espace, fondée sur des travaux de terrain.

En tant qu’objet d’étude, la montagne nécessite une approche pluridisciplinaire qui donne de la profondeur au travail scientifique. Aussi l’équipe du PNR présente-t-elle cet avantage : géographes, sociologues, anthropologue et architecte la composent. Le regard porté sur cet espace ne peut être que pluriel. L’architecture de cet ouvrage en porte les marques. La présentation individuelle des différentes aires traduit le choix d’une approche monographique qui n’exclut cependant pas la comparaison et la synthèse. Le produit ainsi livré donne l’impression de pachwork dont les résultats récupérés dans un souci d’analyse ont constitué l’armature de la conclusion générale.


Sommaire

Présentation
 
Espace montagnard : mutations et permanences. Cas de la Kabylie de la région du Djurdjura.
Mohamed Brahim Salhi
 
Un espace montagnard en pleine reconstruction. Les Ath Waghlis.  
Nadia Messaci
 
Le tell Oriental : changements et adaptations. Abdelhamid Boughaba,
Hosni Boukerzaza
 
Dans l’Aurès : de l’ahmar Khaddou à M’ziraâ. Changements et permanences.
Khédidja Adel
 
Conclusion générale
 
Bibliographie
 
Glossaire

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